Yémen

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Vendredi 16 août 1996

Nous quittons Orly le soir avec la Yemenia. Boeing 737 un peu agé. Nous aurons une escale à Larnaca, à Chypre, au milieu de la nuit, pour un ravitaillement en kérosène sans doute.

Samedi 17 août 1996 : Saana

Au lever du soleil, nous survolons le désert d’Arabie Saoudite et vers 7h00 du matin, nous commençons notre descente vers Saana, la capitale du Yémen. La première surprise est de constater qu’il n’y a aucune véritable route, juste des chemins de terre qui serpentent entre les habitations. Le temps est clair. C’est la période de la mousson mais ici, il ne pleut que très peu dans la journée et nous ne souffrirons pas trop du mauvais temps tout au long de notre voyage. Juste des orages au cours de l’après- midi, souvent violents.

Les formalités de débarquement sont assez rapides. Nous faisons la connaissance de nos chauffeurs. Nous aurons pour tout le voyage deux véhicules 4X4 Toyota à disposition. Comme nous ne sommes que 8 personnes, cela permettra d’être assez à l’aise dans les véhicules : deux devant et trois derrière, les bagages dans le coffre. Il est très pratique de disposer d’un véhicule pour visiter le Yémen, particulièrement tout terrain, car si au long de notre voyage, nous rencontrerons parfois de superbes routes (construites par des Allemands ou des Coréens), il s’agira souvent de chemins en piteux état et de pistes. Se déplacer seul est particulièrement difficile. Il n’y a pas de transport en commun véritablement organisé et je pense qu’il faut vraiment avoir l’âme d’un routard aguerri et beaucoup de temps pour se passer d’un véhicule (avec chauffeur). Dans tous les cas, nécessité de passer par une agence, donc, pour louer le véhicule, et en individuel, cela doit revenir assez cher. La situation a peut-être évolué aujourd’hui.

Nous rejoignons le centre de Saana, pour nous rendre à l’hôtel, que l’on nomme ici Funduq. Les faubourgs ne présentent bien sûr pas beaucoup d’intérêt, succession de battisses sans charme et sales. Un seul immeuble moderne, celui de la Yemenia. L’hôtel est une maison de type yéménite aménagée, c’est à dire assez haute, trois ou quatre étages, avec des petites pièces comme chambres. Je reviendrai sur l’architecture qui est une des caractéristiques les plus notables de ce pays. Les chambres sont très petites, juste une ampoule nue au plafond, les murs blancs et des petits matelas de mousse par terre, le minimum syndical, mais bon, c’est propre, donc cela va. Salle de bain commune, il va sans dire. Nous montons sur la terrasse de la maison, les toits étant tous plats. Et là, c’est une vue magnifique qui s’offre à nous sur la ville de Saana. On dit souvent que les Yéménites ont inventé les gratte-ciels. Ce qu’il faut savoir est que ce type d’architecture est de plus très ancien. Mais hélas, l’influence de notre société tend à faire disparaître ce type d’architecture. Les nouveaux bâtiments adoptent le style standard et laid que nous connaissons dans tant de pays : béton, brique, fer.

Saana

Toute l’ancienne ville est constituée de ces maisons si caractéristiques, faites de hautes maisons de briques brunes, et ornementées de décorations en stuc blanc. Les maisons font souvent de cinq à sept étages, chaque étage étant dévolu à une utilisation particulière (rez de chaussée pour les animaux ou les denrées, dernier étage pour l’accueil des invités, les autres pour la cuisine, les pièces réservées aux femmes, etc…). Souvent, une même famille, avec plusieurs générations, occupe la maison. La décoration des maisons varie d’une région à une autre. 

Ces maisons cubiques, à la forme de tour, me font parfois penser à des cubes de pain d’épice, décoré avec du sucre glacé ! L’unité que propose la ville est saisissante, avec des minarets qui ponctuent la vue, de ci, de là. Le seul symbole de modernité est la vue sur quelques toits d’antennes paraboliques.

La journée qui s’ouvre devant nous, après une petite sieste pour récupérer, sera consacrée à la visite de la ville, du souk et du musée. Il n’y a pas à proprement parler de rues dans la ville sauf les grandes artères. Ce sont souvent des ruelles étroites et tortueuses, non goudronnées, qui serpentent entre les maisons. Nous visitons le musée national, qui ne présente pas un intérêt formidable, la muséographie étant bien sûr assez rudimentaire. Nous nous perdons ensuite dans les souks, qui regorgent comme tout souk arabe digne de ce nom d’une multitude de marchandises, les commerçants étant regroupés par secteur d’activité. Repas à l’hôtel le soir avec le groupe et première nuit sur nos paillasses, après une douche dans la salle de bain commune à l’éclairage blafard.

Dimanche 18 août 1996 : vers Saada

Nous quittons Saana pour le nord, vers Saada. La route est assez correcte. Pas beaucoup de véhicules bien sûr, surtout des camions, des camionnettes et des 4x4. Et bien-sûr, tout au long du chemin, des enfants, des paysans, des animaux. 

Amram

Nous faisons une première étape dans la ville de Amram. Il s’agit d’une petite ville plantée en plein champs, à 50 km au nord de Saana, entourée de remparts. On retrouve l’architecture des maisons de la capitale, mais plus modeste cependant. Les rez de chaussées sont en pierre et le reste de la ‘tour’ est en argile. Les ruelles ne sont bien sûr pas goudronnées, il n’y a aucun équipement urbain et les enfants courent partout autour de nous, pieds nus et vêtus de peu de choses. Le niveau de vie ne semble pas bien élevé, nous débarquons depuis peu de France.  

Nous continuons notre route vers Huth, la ville la plus importante entre Saana et Saada et nous y stoppons pour déjeuner, dans une espèce de cafétéria spécial touristes. C’est le point d’arrêt des véhicules en tout genre. On y trouve gargotes, garages, petits commerces et pompes à essence. C’est là aussi que nous découvrons l’homme yéménite dans toute sa splendeur. Il est habillé d’une sorte de pagne appelé futa, généralement une veste de ville (un peu défraîchie) sur les épaules, et porte à la taille le fameux jambiya, poignard typique du Yémen. Sur la tête, un turban. Quelques uns ont comme attribut supplémentaire une kalachnikov, ce qui est un peu impressionnant lorsque l’on voit cela la première fois. Le culte de l’arme semble important dans la vie sociale du Yémen. Sans doute, cela renforce-t-il la virilité, car inutile de dire que les femmes sont quant à elles assez effacées (euphémisme…).

Portrait typique du Yéménite

 Ces hommes, au demeurant très fiers, passent donc une bonne partie de leur temps à mastiquer du qat, l’autre spécificité du Yemen. Sorte de drogue douce, une herbe verte que l’on mâche pendant des heures, ce qui finit par créer une certaine torpeur. Le qat a une importance primordiale dans la vie du Yémen et des conséquences sans doute négatives. Les hommes y consacrent une bonne partie du revenu familial. Pendant que messieurs s’adonnent à leur plaisir de masticage, les femmes triment bien sûr aux champs.

Nous quittons Huth pour enfin atteindre Saada en milieu d’après midi. La distance totale parcourue depuis le matin n’est pas très longue mais la qualité et l’encombrement de la route ne permettent pas de rouler vite. A Saada, nous nous installons dans un hôtel genre caserne, mais qui présente l’avantage d’avoir des chambres assez vastes et des sanitaires communs à peu près corrects. Nous partons à la découverte de la ville, en en faisant le tour. La ville de Saada est entourée de remparts, sur lesquels il est possible de marcher. C’est bien sûr la vieille ville qui présente de l’intérêt, avec ses maisons caractéristiques en pisé et en argile. La longueur totale des remparts est de plusieurs kilomètres. Sur le parcours, nous sommes pris sous une pluie d’orage ; en fin d’après midi, le temps se gâte souvent. Nous avons droit également à quelques jets de pierre d’enfants ! L’horizon depuis les remparts est assez plane, nous sommes dans une région de plateaux. La province de Saada est la plus septentrionale du Yemen et borde l’Arabie Saoudite. Les frontières sont d’ailleurs très floues. Les tribus qui habitent cette province sont très attachées à leur indépendance et se sont soumises tardivement au pouvoir central. Il existe encore à ce jour de nombreux problèmes, résurgeance de guerre civile. Retour à l’hôtel, repas et au lit.

Lundi 19 aôut 1996 : retour de Saada vers Saana par la province de Hajja

Départ de Saana au petit matin. La journée sera consacrée à la visite de petits villages au nord ouest de Saana. Nous reprenons la grande route depuis Saada et bifurquons au niveau de Amram. Nous entrons dans la province de Hajja. Cette province, qui offre une côte sur la mer rouge, est une province de passage, car c’est ici que passent les voies de communication avec l’Arabie Saoudite. La partie occidentale est en fait le nord de la Tihama, la vaste région côtière du Yémen (décrite plus loin). La partie orientale marque le début de la zone montagneuse.

Paysages de la province de Hajja

Nous allons traverser de superbes paysages de montagnes avec des cultures en terrasse. Les paysages de cette région sont sublimes. Les agriculteurs semblent cependant quitter leur terre, attirés par l’industrie du pétrole toute proche. Les terrasses en pâtissent et l’érosion fait son travail. En 1996, la situation devait sans doute être très difficile pour les habitants de la région car depuis le soutien du Yémen à l’Irak lors de la guerre du golfe en 1991, l’Arabie avait en représailles chassé les Yéménites travaillant sur son territoire.

 

Nous visitons un superbe village, Khulan, accroché à la montagne, avec toujours ces maisons si caractéristiques. Le chemin est escarpé pour s'y rendre. La ville de Hajja ne présente par contre pas d’intérêt. Retour à Saana le soir.

Khulan

 

Mardi 20 août 1996 : le Wadi Dhahr, Thilla,  Shibam du nord

Le palais du roc

Nous prenons la route de Wadi Dhahr. Il s’agit d’une vallée fertile et plaisante, à une quinzaine de kilomètres de Saana. Très fertile, on y cultive le qat et de nombreuses variétés de fruits méditerranéens. La vallée, sans être excessif, est un des plus beaux endroits du Yemen du nord que nous ayons vu. De nombreux villages s’égrènent dans la végétation ou le long des flancs de la montagne. Enfin, sur un petit promontoire de pierre, au milieu de la vallée, le palais du roc, qui est ‘LE’ symbole du Yémen. Il s’agit en fait d’une maison à l’architecture classique, qui fut érigée dans les années 30 par un imam. Propriété actuellement du gouvernement, il est possible de la visiter. On peut observer de cette manière les fenêtres ‘takhrim’, sorte de dentelles avec des verres colorés. Sur le toit, on a un superbe panorama sur toute la vallée. Après la visite, nous reprenons le 4x4 et montons en haut de la falaise, pour un panoramique sur la vallée.

 

La visite se poursuit par l’admirable ville de Thilla. C’est ne ville de montagne avec ses maisons de pierre parfaitement conservées, et entourée de remparts. Au sommet de la montagne qui la domine, une citadelle. La ville est en parfait état, les maisons sont magnifiques, faites des pierres de la montagne. Les encadrements des fenêtres sont peints en blanc. Les bâtisses font souvent quatre étages ou plus. Nous faisons le tour de la ville en empruntant de petites ruelles pavées. De nombreux enfants nous accompagnent lors de la visite.

Thilla

Nous reprenons les 4x4 pour nous rendre à Shibam, qui se trouve à quelques kilomètres. Il existe deux Shibam au Yémen ; celle du nord et celle du sud. Shibam du sud est la plus réputée avec ses grattes-ciel du désert. Celle du nord, dans laquelle nous nous trouvons est une petite ville à l’architecture plus classique. Sa particularité est d’être adossée à une montagne qui la surplombe de 400 mètres, ce qui en fait un site tout de même assez impressionnant. Shibam sera notre étape pour la nuit. Je suis rarement allé dans un hôtel aussi pouilleux. Notre accompagnatrice nous précise qu’il n’y a pas autre chose à bas prix aux alentours. Il s’agit d’un funduk, avec sa salle de repas commune, et des chambres dortoirs. C’est miteux, sale, repoussant. J’accepterais sans trop de problème cet inconfort si je l’avais choisi. Mais je précise qu’il s’agit d’un voyage (semi) organisé de notre chère agence Nouvelles Frontières, et que ces ‘hôteliers’ sont très au fait du moyen de gagner beaucoup d’argent en faisant le moins d’efforts possible. Nous succédons donc à plusieurs groupes d’Italiens finissant leur repas et nous installons sur des paillasses sales pour ‘déguster’ notre pitance. Je reviendrai ultérieurement sur l’état des sanitaires et des ‘chambres’ !

ascension de Shibam à Kawkaban

Ce premier épisode passé, nous partons pour l’ascension de la montagne, par un chemin escarpé. A vrai dire, au début de la montée, nous ne trouvons même pas de chemin ! La montée est tout de même un peu difficile et nous transpirons. Bien sûr, à notre arrivée, nous avons un magnifique panorama. Nous nous trouvons ici dans le village de Kawkaban, véritable nid d’aigle qui domine toute la plaine. 

C’est une forteresse dans laquelle les habitants de Shibam se réfugiaient lors des périodes troublées. Nous nous attablons dans la petite cour d’un funduk présent dans ce village pour nous désaltérer et nous reposer. J’en profite pour le visiter rapidement. De style purement yéménite, avec ses étages et ses petits escaliers, ses dortoirs et sa salle de repas uniquement habillée de tapis et de coussins, il est propre et agréable. Je repense alors à ce qui nous attend en bas et maudit notre accompagnatrice. Nos chauffeurs, qui avaient rejoint par la route qui contourne la montagne, redescendront à vide car nous décidons de reprendre le chemin de la montagne pour rejoindre Shibam. Belle ballade. Arrivée à l’hôtel, c’est l’heure de la douche. Dans des sanitaires infâmes, après une longue attente (c’est en plus surpeuplé), me savonnant sous un malheureux filet d’eau, c’est la coupure – la totale ! Je suis - très- énervé ! Pour compenser, je mangerai comme un goinfre au repas du soir. La chambre est sans doute pleine de bestioles, les matelas crados posés sur le sol n’inspirant aucune confiance. Nous aspergeons tout cela d’insecticide et nous couchons pour une très mauvaise nuit, les uns sur les autres, au doux bercement du groupe électrogène qui ronronne au pied de la fenêtre….

A bien y penser, je crois que cette nuit là fut ma rupture avec cette forme de voyage en circuit aventure que j’ai pratiqué avec Sibylle depuis plusieurs années. Il faut bien reconnaître qu’en plus, le petit groupe que nous formions n’était pas soudé et plaisant. Une ambiance morne, une ou deux têtes de con, et une accompagnatrice qui s’y croyait un peu. Nous redécouvrirons l’année suivante, avec Sibylle, les plaisirs du voyage individuel. Cette nuit-là confirmera à mon esprit également que Nouvelles Frontières, à qui, au long de mes périples, j’ai pourtant laissé des milliers de francs, est capable du meilleur mais aussi du pire. Le meilleur dans la multitude de ses formules et le pire par le manque de sérieux trop souvent constaté. Ce paragraphe était une petite digression volontaire par rapport au récit de mon voyage au Yémen !.

Mercredi 21 août 1996 : Kawkabam, At Tawila, Al Mahwit

C’est, on le comprend facilement, sans regret que nous quittons Shibam. Nous empruntons la très route, construite par des allemands, pour atteindre Kawkaban. De là, nous allons partir pour une magnifique ballade sur le plateau, à près de 3000 m d’altitude. Le paysage est ras de toute végétation. 

Entre Kawkaban et Bokur

La ballade va durer toute la matinée, sous un soleil déjà fort. Pas de difficultés majeures sur le périple, le terrain est plat. Nous rencontrons quelques bergers avec des moutons. Par moment, nous avons une vue sublime sur les plaines qui s’étendent en dessous de nous, avec leurs cultures en terrasse. Le but de la promenade est le village de Bokur, construit à flanc de montagne. Plus nous nous en rapprochons, plus le ciel se couvre et c’est peu avant l’averse que nous rejoignons les 4x4 qui nous y attendaient.

 Nous reprenons la route, ou plutôt la piste caillouteuse (ici, le 4x4 est indispensable) sous la pluie. Nous allons rejoindre le village de At Tawila pour y déjeuner. Le restaurant est humide et sombre, le temps cependant un peu plus clair. At Tawila présente aussi de belles maisons, bâties à flanc de montagne. Nous nous dispersons pour emprunter les petites rues et monter vers les maisons les plus hautes perchées. Comme partout, de nombreux enfants nous suivent, quémandant un peu. La pauvreté est grande dans ces villages, malgré les magnifiques maisons. Mais après une heure, le soleil s’obscurcit de plus en plus. En quelques minutes, le village est pris dans les nuages. Nous rejoignons rapidement les véhicules. C’est une véritable pluie torrentielle qui s’abat sur nous. Le chauffeur ne peut rouler à plus de 20 km/h. On n’y voit absolument rien. Les fossés de la route débordent rapidement et de la montagne, tombent de véritables cascades, ravinant tout sur leur passage. Nous sommes à la période de la mousson, cela se voit ! Nous arriverons le soir à Al Mahwit, capitale de la petite province du même nom. Malgré toutes ces étapes, il ne faut pas perdre de vue que nous nous trouvons à peine à 100 km de Saana. Les distances sont courtes mais le temps pour les parcourir est important.

Al Mahwit est encore une ville de montagne, qui semble plus riche que d’autres. Nous n’aurons pas le loisir de la découvrir car ce n’est qu’une étape nocturne. Mais, l’abondance d’éclairage public et individuel laisse présager un développement plus important. Nous nous installons d’ailleurs dans un hôtel tout à fait correct, de standing 2 étoiles, qui semble d’un confort absolu par rapport à la veille ! L’alignement des 4x4 devant l’immeuble indique bien qu’il s’agit d’une étape connue. Nuit pluvieuse mais bonne.

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